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Dialogue national en RD Congo: l’illusion d’un consensus qui altère le jeu démocratique

cc.jpg« Je soutiens que le fait de concevoir le but d’une politique démocratique en termes de consensus et de réconciliation n’est pas seulement erroné conceptuellement mais dangereux politiquement. L’aspiration à un monde qui aurait dépassé la différenciation entre les visions des uns et des autres se fonde sur des prémisses fallacieuses, et ceux qui adhérent à ces projets ne peuvent que manquer la tâche véritable qui incombe à une politique démocratique. […] Quand les luttes politiques perdent de leur signification, ce n’est pas la paix sociale qui s’impose, mais des antagonismes violents, irréductibles, susceptibles de remettre en cause les fondements mêmes de nos sociétés démocratiques » La philosophe Chantal Mouffe

En convoquant le dialogue national, les autorités congolaises avaient comme objectif de pousser la classe politique vers un consensus sur la mise à jour du fichier électoral, l’élaboration d’un calendrier électoral réaliste, la sécurisation et le financement des élections. Après plus de 45 jours de débats, de suspensions des séances et de combines politiciennes, la Majorité présidentielle et une frange de l'opposition congolaise ont adopté un accord politique pour une gestion consensuelle du pays. Le texte a validé le report des élections d'ici à avril 2018, le maintien du chef de l’État sortant jusqu’à l’élection de son successeur, la mise en place d’un nouveau gouvernement dirigé par un opposant ayant pris part au dialogue et l’installation d’un comité de suivi qui siégera tous les mois afin de mener une évaluation du processus électoral.

Nous n’allons plus revenir sur les résolutions de cet accord rejeté par une frange de l’opposition politique et de la société civile malgré les satisfécits du facilitateur Edem Kodjo ainsi que des chefs d’Etats de la région des Grands Lacs lors de la réunion de Luanda du 27/10/2016. Notre réflexion de ce jour vise à comprendre le sens à donner au mot "dialogue" en politique lorsqu’il n’y a pas de veritable choix en jeu entre les tenants du pouvoir et le reste, et si les participants à la discussion ne font pas face à des options clairement différenciées parmi lesquelles les gens peuvent trancher. Dès lors qu’au sein de l’élite politique en RD Congo la confrontation n’est plus présentée comme celle entre adversaires politiques mais comme une opposition morale entre les bons et les méchants, l’opposant ne représente plus qu’un ennemi à détruire et cela compromet la possibilité d’un règlement pacifique des conflits.

Si nous devons considérer la politique comme l’ensemble des pratiques et des institutions à travers lesquelles un ordre est créé en vue d’organiser la coexistence humaine dans le contexte de conflictualité qui est celui du politique, il est évident que les questions politiques qui engagent l’avenir de tout un peuple ne sont pas de simples problèmes techniques susceptibles d’être résolus par des experts souvent partisans et manipulables par le pouvoir en place. En fait, les questions politiques impliquent toujours des décisions qui exigent que l’on fasse un choix entre plusieurs options soutenues par les parties en conflit et représentatives des identités collectives. Ne pas favoriser et encourager le jeu du pluralisme politique, cela conduit vers un consensus basé sur des actes d’exclusion en compromettant l’existence même de la démocratie: c’est le cas vécu en RD Congo.  

Du mythe « Dialogue » à la réalité despotique
Il n’est de meilleur moyen pour mal comprendre un phénomène que de mal le nommer. Et lorsqu’on cherche sciemment à en diminuer le caractère négatif, il convient de le rebaptiser d’un terme plus neutre, voir valorisant. Le terme « Dialogue », employé à outrance pour désigner ce lieu de concertations sociopolitiques en vue de trouver des solutions au blocage monté par le pouvoir et qui risque de plomber l’avenir de la RD Congo, correspond parfaitement à cette logique. 

Le régime en place a usé des subterfuges peu honnêtes pour ne pas organiser les élections en 2016 notamment le manque de volonté politique pour mettre à la disposition de la Commission électorale les moyens financiers/logistiques nécessaires. Ensuite cette décision délibérée d’effectuer, coûte que coûte, le découpage territorial du pays en 25 provinces, une opération conforme à la Constitution, mais très inopportune juste à la veille des élections. Constatant une forte montée de tension à l’approche de la fin du mandat présidentiel, les stratèges du régime vont imaginer un cadre de concertations et de négociations plombé d’avance par sa configuration et les sujets à  traiter. Pour qu’un tel forum soit légitime, il fallait qu’il prenne une forme qui ne détruise pas l’association politique du pays. Cela signifie qu’il devrait exister entre les parties en conflit un certain type de lien commun, de sorte que le pouvoir organisateur n’envisage pas ses opposants comme des ennemis à éradiquer, en percevant leurs revendications comme illégitimes. Il est hors question de considérer les opposants comme de simples compétiteurs dont les intérêts pourraient être traités au moyen d’une négociation manipulée en imaginant la réconciliation à travers une délibération orientée.

Le caractère non inclusif du dialogue et surtout l’absence d’un cadre régulé par un ensemble de procédures démocratiques acceptées par les différentes tendances sociopolitiques du pays ont provoqué un sentiment de réprobation non seulement au sein des populations congolaises mais aussi auprès de certains des partenaires extérieurs. En relisant l’accord signé, on a une nette impression que la date fixée pour les élections pourrait ne pas être respectée et donc qu’un autre glissement est en vue. Les nouvelles consultations initiées par la Cenco (Conférences Episcopale Nationale du Congo) avec l’accord tacite du pouvoir ressemblent à un rétropédalage de la part de la mouvance présidentielle. Connaissant parfaitement le phénotype de cette élite politique corvéable à souhait face à l’argent, il est quasiment certain que les attentes resteront vaines. En effet, le régime Kabila veut à tout prix garder les reines du pouvoir et pour ce fait, il a imprimé dans le subconscient de l’homme politique congolais (majorité et opposition) le bréviaire du courtisan permettant de savoir ramper, de démontrer le degré de servilité, de connaitre les reparties, dérobades, feintes ou réponses imparables à toutes les questions et à toutes les situations qui pourraient faire vaciller l’honneur de son Excellence Le Raïs 1er.

Tous des rentiers
Il faudrait déjà relever que ce régime n’a jamais été la quintessence de la bonne gestion et qu’il trimbale depuis longtemps des bulles puantes dont la dernière est le scandale financier auprès de la BGFI appelé "Lumumba papers". En RD Congo, la rente a toute une autre connotation car elle est constituée des avantages accaparés par les acteurs politiques via des mécanismes illégaux (corruption, détournement de fonds publics, accaparement des marchés publics, etc…), exactement ce que Joseph Stiglitz (Le prix de l’inégalité, 2012) définit comme le nombre de moyens par lesquels le mécanisme politique actuel gratifie les responsables politiques et leurs affidés au dépend des populations. La plupart de ces politiciens arrive au pouvoir en haillons et en sorte en costumes aux coupes élégantes dont certains ont du mal à s’y glisser. Au pouvoir comme dans l’opposition, c’est le même néant qui prend des airs de responsables. L’exemple typique est le premier ministre Augustin Matata, l’homme de la croissance à deux chiffres et qui vient de doter la RD Congo d’un budget risible de 4,5Miards de dollars en 2017 pour une population de 80 millions alors que ce pays regorge d'importantes ressources naturelles: 1 100 minerais et métaux précieux différents d'une valeur estimée à 24 000 milliards de dollars; 120 millions d'hectares de terres arables; 135 millions d'hectares de forêts; 100 000 mégawatts de potentiel d'énergie hydroélectrique, de sources diverses d'énergie renouvelable (solaire, biomasse, géothermie, charbon, nucléaire, et gaz méthane) et de ressources énormes de pêche et d'élevage. Un budget ridicule qui consacre l'échec des politiques économiques mises en œuvre depuis 2001 avec des conséquences néfastes sur le vécu quotidien des congolais.

Ce premier ministre, économiste de surcroit, vient d’écrire un livre "Qualité des institutions et résultats économiques en RD Congo de 1980-2015", dont le contenu ne reflète en aucun cas le bilan de son gouvernement depuis plus de 4 ans de pouvoir, semble oublier une chose: « il n’y a pas de vérité en économie. Il n’y a que des hypothèses en amont et des choix en aval, et, entre les deux, dans le meilleur de cas, une méthode et des instruments robustes, dixit Eloi Laurent ». Mais qui est-il pour avoir le droit de tromper tout un peuple, de mentir, d’invoquer la transparence au temps de l’argent sale dans ses poches et de l’opacité créée par son pseudo génie, de chanter les louanges de la croissance un jour et de la crise le lendemain ? C’est bien lui qui avait annoncé, il y a quelques temps, que les profits d’aujourd’hui  seraient les emplois de demain ! Quatre ans que les profits augmentent dans ses poches et le chômage de masse aussi ! Lui et ses compères rendront des comptes - c’est la moindre des choses dans la science de l’utile et du quantifiable dont il détient un diplôme universitaire…

Le devoir de désobéir
L’une des leçons les mieux établis de l’histoire du pouvoir est que toute personne en situation d’exercer une autorité sur d’autres est un jour tentée de dépasser les limites naturelles de l’exercice de son pouvoir. Et si l’on a pu, en démocratie mettre fin à la plupart de ces abus, c’est parce qu’on a su développer au cours du temps une série de règles morales et de législations équilibrant chaque pouvoir par un autre. Malheureusement la crise qui sévit en RD Congo relève tout bonnement d’une sorte de compétition entre l’élite politique dont les tendances ne sont ni idéologique ni doctrinales mais simplement la course à l’enrichissement personnel. On nous annonce un second round de dialogue sous forme de négociations entre la majorité présidentielle et l’opposition. Aussi longtemps que les passions constitueront la principale force motrice de la politique congolaise, il est exclu d’espérer un compromis dans ce genre de forum où les plus forts manipuleront les moins nantis. Les populations sont à bout des nerfs et tout peut basculer à tout moment. Car la consigne ne visera pas seulement le président, raïs des accointances silencieuses, et ses ministres, ce conseil d’administration gouvernemental mais toute l’oligarchie bénéficiaire du gâchis actuel et très bien connu des populations martyrisées. 

A ce sujet, voici ce qu’a écrit Jacques Attali dans Survivre aux crises, pages 145-146 : « S’ils sont déçus par les résultats de l’action des partis et gouvernement qu’ils auront soutenus, s’ils réalisent que rien d’essentiel ne peut changer dans le cadre nécessairement locale d’une démocratie de marché, ils estimeront que, dans ces conditions, il n’y aura jamais "rien de nouveau sous le soleil", et que, pour obtenir du neuf, pour détourner les menaces, il faudrait passer de l’autre côté, autrement dit faire la révolution. L’exaspération et la colère atteindront alors chez eux un degré tel qu’ils n’auront plus peur de prendre des risques et de sortir de la légalité pour changer l’état de leur pays ou celui du monde. »   

Marcellin Solé
Consultant
solemarcellin@yahoo.com


 

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