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Une diplomatie siamoise entre Kinshasa et Kigali

C’est fait depuis le vendredi 01/10/10 : le rapport Mapping sur la RDC a été publié et comme l’on s’y attendait bien, il a provoqué les mêmes réactions de rejet par la plupart des pays concernés sauf la RDC qui salue ce rapport en le qualifiant de document « détaillé » et « crédible » qui démontre, selon Ileka Atoki, l'ambassadeur congolais aux Nations Unies, « l'horreur indicible et l'étendue des crimes que le peuple congolais a endurés ».

Finalement, le forcing de Kigali d’empêcher l’utilisation du mot génocide n’a pas réussi car les enquêteurs n’ont pas cédé à la machine lobbyiste de Kagame et ont qualifié de génocide le massacre de Hutus par les troupes du Front patriotique rwandais. Toutefois, le recours à des termes comme « apparemment » ou « suggérer » prouve que les auteurs du rapport, sans être catégoriques,  ont préféré jouer à la prudence en laissant le soin à un tribunal compétent, qui aura pour mission de répondre une bonne fois pour toute à la question de savoir si le crime de génocide peut être retenu sur la base des preuves irréfutables et sans appel.

Vous vous rappellerez qu’il y a deux semaines, lors de la publication non autorisée de certains passages de ce rapport par le journal Le Monde, les autorités rwandaises avaient réagit violemment en menaçant de retirer leurs soldats de Darfur. Dès cet instant, la diplomatie agissante de Kagame fera la ronde de la région en vue de convaincre ses homologues de l’opportunité d’une réaction commune, dès la publication du rapport. C’est chose faite, c’est tout naturel que le Rwanda puisse le qualifié d’inacceptable, de mauvais, d’une insulte à l’histoire. Le Burundi refuse lui aussi de reconnaître un rapport qui est clairement destiné à déstabiliser la sous-région et qui n'a pas été mené de façon objective d’autant plus que ce pays a toujours nié la présence de ses militaires en RDC. Impliqué dans des possibles crimes de guerre, l’Ouganda rejette le rapport en le qualifiant d’un condensé de rumeurs. Il emboîte le pas au Rwanda en menaçant de retirer ses soldats de la Somalie. Même réaction du côté de l'Angola qui se dit particulièrement outragée et rejette les accusations  d'exécutions sommaires et de viols.

Ce qui étonne et fâche (pour ceux qui comprennent le jeu subtile des autorités congolaises) c’est le revirement de la réaction de Kinshasa à la publication de ce rapport. Il y a deux semaines, le trublion ministre congolais de l’information, Mende avait traité ce rapport de manœuvre pour éluder les lacunes des forces onusiennes lors des récents viols au Nord-Kivu. Et, dès sa publication officielle, ce document explosif est subitement qualifié, par les mêmes autorités congolaises, de crédible car les victimes congolaises méritent justice. Ce revirement est une conséquence de la forte pression des ONG/ Droits de l’homme, de la société civile et du lobbying de la diaspora congolaise sur le régime de Kabila pour ne pas remettre en cause le contenu et les conclusions du rapport du HDCH.

Mais en réalité, le changement de ton de Kinshasa ressemble à une simple esquive afin de ne pas s’aliéner l’opinion publique surtout à une année des échéances électorales. Les contraintes géopolitiques du moment obligent le régime Kabila à se greffer au software politique de Kagame pour espérer se maintenir dans la région, laquelle risque de connaître quelques turbulences avec le référendum du Sud Soudan, la déliquescence du gouvernement somalien et les élections en Ouganda et au Kenya. Il faut se resserrer les coudes, s’accrocher à plus stable, faire front commun bref s’appliquer au "Real Politik" pour un régime qui navigue à vue. C’est ce qui explique la relance, depuis un certain temps, d’une diplomatie tous azimuts entre Kinshasa et Kigali qui ressemblent de plus en plus à des frères siamois dont l’un est le software de l’autre… intérêts obligent !

Il ne s’agit nullement d’une figure de style mais bien d’une réalité qui s’est installée entre les deux pays et a pris racines depuis les visites réciproques des deux présidents. En effet, le 06 septembre 2010, Joseph Kabila a séjourné dans la capitale rwandaise Kigali. Au delà de sa présence à la cérémonie officielle de prestation de serment du président rwandais, le chef de l’Etat Congolais avait eu une rencontre privée avec Paul Kagame. Au cours de cette entrevue, quatre point auraient été débattus soutiennent nos sources. Il s’agit de la question du sort du général Bosco Ntaganda, du dossier du redéploiement des forces du CNDP en dehors de deux provinces du Kivu, de la sécurité des frontières rwandaises et du récent rapport de l’ONU.

Au sujet de Bosco Ntaganda, le président Kagame aurait noté que ce général tutsi congolais n’a vraiment pas rempli sa mission de reprise en main des forces combattantes ex-CNDP intégrées dans les Fardc. Une division nette est apparue non seulement dans la structure politico-militaire mais aussi au sein de la communauté Tutsi congolais (les Bagogwe et le reste). Ce qui n’a pas arrangé les autorités rwandaises en plus de la pression qui pèse sur les deux Etats du fait du mandat que la CPI a lancé contre ce général renégat. Kabila aurait constaté pour sa part que Bosco a permis, certes, la désintégration des forces CNDP mais il s’est malheureusement compromis dans du business des minerais avec comme conséquences la fraude et des exactions ayant entamé sa popularité (Kabila) au sein des populations autochtones : Kabila étant considéré comme le parrain de Bosco Ntaganda
Les deux présidents ont décidé de le suspendre de son poste de commandant adjoint des opérations « Amani Leo » et la décision lui a été signifiée directement. Ils ont également recommandé aux deux ailes du CNDP (pro-Bosco et pro-Nkunda) de concilier leurs différences en vue de former un seul mouvement politique. Les deux ailes se sont rencontrées récemment à Goma et ont suggéré que Bosco puisse quitter la région et demander l'asile à l’étranger car sa présence constitue une entrave à toute réconciliation entre les communautés autochtones : l’homme est responsable de plusieurs griefs au sein des populations civiles. Conscient du fait que son exile peut rapidement se transformer en un cauchemar (un mandat est suspendu sur sa tête), Bosco ne serait  pas prêt à se faire dégager de la sorte et pourrait se transformer en chef de gangs avec ses adeptes s’il se sent forcer de quitter son Masisi natal. Les deux présidents se sont donnés un peu de temps pour résoudre l’énigme Bosco qui a servi les intérêts des deux régimes en un moment donné.

Sur demande de Kabila, les deux présidents ont évoqué la question du redéploiement des éléments CNDP en dehors de deux provinces du Kivu. La province du Bas Congo a été notamment proposée.
Kigali a demandé à Kinshasa de bien étudier le dossier car il n’est pas évident que les populations les acceptent facilement compte de la réputation qui semble les précéder partout où ils se déploient. Il n’est pas certain également qu’ils (ex-CNDP) acceptent de quitter le Nord Kivu avant le retour des réfugies Tutsi congolais compte tenu de la recrudescence des activités des Fdlr dans la région. Ce dossier reste donc ouvert et les deux présidents auraient demandé d’autres éléments d’informations avant d’adopter une décision finale.

S’agissant de la sécurité des frontières rwandaises, les services rwandais sont convaincus que le tandem Kayumba-Karegeya est actuellement en alliance avec certains groupes armés installés dans les deux Kivu notamment les ex-CNDP pro Nkunda, les FRF de Bisogo, certains MaïMaï, les FPLC de GAD et même un groupe des FDLR présentés comme non génocidaires. Une nouvelle opération militaire conjointe étant pratiquement impossible dans les circonstances actuelles, Kagame aurait fait comprendre à Kabila que la situation risque de s’empirer pour le Rwanda surtout que Kampala serait derrière Kayumba et qu’il y a lieu de fermer les yeux afin de permettre l’infiltration des RDF (une bonne partie constituée des ex-Fdlr reformatés, recyclés et reconvertis par Kigali) dans les deux Kivu pour frapper certaines cibles déjà répertoriées par les renseignements rwandais. Les infiltrés opéreront au sein des FARDC afin de mener à bien les opérations prévues officiellement par l’armée congolaise.

Concernant le récent rapport de l’ONU, le rapport du Haut commissaire des NU aux droits de l’homme sur les meurtres, viols et pillage commis en RDC par les APR irrite aussi bien Kagame que Kabila : les deux pouvant répondre (à des échelons différents) de leurs responsabilités à l’époque des faits. Si Kigali a qualifié ce document de malveillant, choquant et ridicule, Kinshasa a commencé  par traiter ce rapport de manœuvre pour éluder les lacunes des forces onusiennes même si le gouvernement congolais vient de le qualifié de crédible. Il est certain que les deux régimes doivent se soutenir mutuellement afin d’étouffer les conséquences de la publication  du rapport qui pourrait éclabousser la plupart des régimes de la région ayant participé à la tentative de renversement du régime de Kabila-Père. Kagame aurait convaincu ses homologues de la région des Grands Lacs de l’opportunité d’une réaction commune, dès la publication de ce rapport, prévue le 1er octobre 2010.

A Kigali, on se frotte les mains avec ce nouveau rapprochement tout en déplorant l’inexpérience et surtout l’inconstance des autorités congolaises à la base de certains revirements inexplicables.
On n’est pas loin de la citation de Georges Wolinski : "Travailler en collaboration, cela veut dire prendre la moitié de son temps à expliquer à l’autre que ses idées sont stupides."

Joska

mise en ligne le dimanche 03 octobre 2010

www.lemillenaireinfoplua.com

Date de dernière mise à jour : 02/07/2021

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Commentaires

  • Shimba Shira

    1 Shimba Shira Le 05/10/2010

    "TOUTE REVOLUTION FINIT PAR MANGER SES PROPRES ENFANTS", celle de FPR/APR/UDF ne fera pas exception.Mais, plus difficille et digne debeaucoup d'attention est l'exigence de se preparer a une alternance dans la sous-region:eviter un nouveau genocide et recanaliser la colere dans la region et la haine anti-tutsi sera plus difficile pour l'alternance du pouvoir. A commencer par Kinshasa, ou les conditions sont propices pour un changement, puis Kampala, Nairobi et enfin Kingali et Bujumbura!
  • christian

    2 christian Le 03/10/2010

    Merci Joska pour ce condensé. J'ai été choqué par les propos de la ministre rwandaise des affaires étrangères qui qualifie les enquêteurs d'anonymes et pourtant on connaît quelques-uns dont Roberto Gareton. Kampala parle de rumeurs et pourtant on sait que les hommes de Kabarebe et de feu Kazini s'étaient affrontés à Kisangani, que les ougandais et les hema ont fait promener les têtes des lendu dans la ville de Bunia. Est-ce rumeurs ça?
    Je pense qu'il y a une chose assez claire. Si on n'avait pas parlé de génocide dans ce rapport Mapping, Kigali ne se serait pas fâché. Mais comme le mot Génocide est MADE IN RWANDA BY KAGAME, personne d'autre ne peut utiliser ce mot. C'est une marque déposée tutsi. Erreur!!
    Quelle que soit la longueur de la nuit, Kabila et Kagame seront rattrapés un jour. Kabila vient de liquider un opposant en prison, 4 mois après l'assassinat de Chebeya et son chauffeur. Il s'agit de Armand Tungulu Madiandambu qui a osé caillassé son escorte. Quel courage! Après l'avoir traité de détraqué mental, on l'accuse de s'être suicidé dans sa cellule. On le traite même d'expulsé par la Belgique. Au même moment, on apprend que le général Faustin Munene serait rentré en clandestinité et peut-être déjà en Angola. Motif: accusé de subversion. Kabila serait aux abois. Ses jours sont comptés et il mourra comme Shani Abacha au Nigeria ou Mainassara au Niger. Tous ceux qui ont collaboré avec son faux-vrai père sont éliminés à petit feu. A qui le prochain tour? Peut-être Kamerhe.

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