La manière dont le pouvoir de Kinshasa gère la crise de l’Est est loin de contenter les habitants de cette région troublée de la RDC. Les notables du Kivu décèlent de graves faiblesses dans cette gestion « calamiteuse ». La preuve ? Une lettre ouverte de FRAPE (FRATERNITE PATRIOTIQUE DES PEUPLES ENGAGES) adressée au gouvernement de la RDC le 10 septembre 2012 repère plusieurs griefs reprochés aux dirigeants congolais. Dans des termes « pudiques » Jean Louis Ernest Kyaviro, président de cette nouvelle structure, étale quelques bavures des hommes du pouvoir en RDC : dérive communicationnel, affairisme, résistance au contrôle dans le domaine sécuritaire, manque de culture d’amande honorable… Pour ce député national honoraire, cadre de la Majorité Présidentielle actuellement au pouvoir en RDC et ancien porte parole du gouverneur de la Province du Nord Kivu, « une des demandes qui fusent de partout est qu’il faut vite changer les hommes et les méthodes qui ne produisent pas les résultats escomptés ». Il s’explique : « en effet tout le monde est courant des complicités, de l’affairisme et d’autres graves fautes qui ont fait couler le sang de mes frères ». C’est tout dire.
Ce notable de Beni considère que « Quoique manifestement initiées et planifiées de l’extérieur du pays, la gestion de nos malheurs est objectivement parsemée de graves faiblesses de la part de notre Exécutif. Sur terrain une large portion de responsables ont mis en avant leurs intérêts personnels, foulant aux pieds les enjeux majeurs du pays. Autant que les complices des agresseurs, ils fragilisent les moyens de défense de la Patrie de l’intérieur ».
Réserver le monopole de l’analyse sécuritaire à l’Exécutif National parait déjà suspect pour cet ex-Secrétaire général du RCD/K-ML. Des dérives communicationnelles constituent une faiblesse de plus dans la gestion de la crise estime cette lettre ouverte de FRAPPE : « L’usage des mots inappropriés et le ton sarcastique nous ont paru tout à fait inutiles, même démobilisateurs ». Une manière de rappeler à l’ordre le porte parole du gouvernement congolais qui se distingue dans des déclarations intempestives et parfois contradictoires s’agissant des faits en rapport avec la crise prévalant à l’Est du Congo.
Le Gouvernement congolais manque la culture de l’amande honorable. Certains de ses membres tiennent à nous voir applaudir des fautes qui nous endeuillent.
Nous avons sélectionné pour nos lecteurs cet un extrait de cette lettre qui met en exergue certaines faiblesses du pouvoir congolais. Lisez attentivement.
La gestion des « experts » qui sont abondamment vanté (…) a depuis longtemps perdu la confiance des congolais qui demandent des changements dans le secteur depuis des années. En effet, on reconnaît un arbre par ses fruits. Les experts sont jugés sur leurs résultats et non sur leurs CV ou sur les relations qui les placent à des positions. (…)
Nous voyons en effet, à quelques figures près, ces mêmes personnes à la tête de nos forces depuis en 2007 et voici quelques une de leurs erreurs connues de tous :
Pour inaugurer la première législature de la troisième République, ils ont accepté d’organiser une des plus grandes duperies de l’histoire militaire : le mixage. Vos « experts » ont instantanément intégré dans l’armée nationale des rebelles, des criminels et des étrangers qui ont vite tourné leurs canons vers les FARDC, juste au lendemain de leur immense coup de bluff. Les gens se sont retrouvés dans les mêmes unités de combat sans même avoir effectué un kilomètre de course à pied ensemble, sans la même vision, sans le même objectif, sans le même maître. On s’est retrouvé avec des gens portant notre uniforme, mais répondant à Kigali. Le trafic des matières précieuses s’est poursuivi, avec même des avions venues d’autres cieux qui atterrissaient à Goma, pleins de millions de dollars, protégés par des gros bonnets. Réactions molles à Kinshasa.
Les « mixés » ont été chargés de neutraliser les FDLR mais ont tourné les armes vers le peuple et Kinshasa, tout en renforçant les forces négatives. Le bilan du « mixage » est une humiliation de la nation, des milliers des morts et plus de 2 millions de déplacés. Il s’est terminé par des défaites militaires et des négociations en position de faiblesse, dont nous savourons les fruits amers jusqu’à ce jour : à prix d’or, la République a acquis un Cheval de Troie.
Vos « experts » ont ensuite inventé les « Régiments », présentés comme une formule miracle. Etrangement, vos « experts » ont encore une fois fait confiance aux mêmes personnes, criminels notoires, qui ont mis le Kivu à feu et à sang. Les massacres, crimes contre l’humanité et même les génocides perpétrés n’ont reçu que silence de la part de Kinshasa. En violation de nos lois et de la Constitution, ils y ont distribué des responsabilités sur des bases politiques et ethniques. C’est ici que les congolais ont exprimé leurs doutes sur les intentions des gestionnaires de la crise : alors qu’ils espéraient un soulagement, les habitants du Nord-Kivu ont ainsi continué à voir et à subir l’arrogance de ceux qui ont pillé, violé et massacré dans les zones mêmes où ils ont été confirmé comme commandants. Les congolais du Kivu se sont sentis humiliés et personne parmi les notabilités originaires du Kivu ne vous dira le contraire, à moins d’être un grand hypocrite.
Ces privilégiés par vos « experts », sont à l’origine du M23, preuve qu’ils se moquent de nos largesses naïves. Ils utilisent les armes et l’argent qu’ils ont pris de l’Etat en plus de ce qui vient de l’extérieur.
Vos « experts » se sont tus face à des graves crimes tels que des assassinats commis en plein jour et des hold-up ici au centre-ville de Goma. Ensuite, ici à Goma, on a même vu des militaires rwandais traverser, se rendre à la prison et venir libérer de force des criminels arrêtés sur le sol congolais. Depuis 2007, ce sont les proches de Kigali qui ont fait la loi ici à Goma. Le Gouvernement et les « experts » sont restés muets.
Les défections ont alors commencé et vos « experts », trop sûrs d’eux-mêmes et trop mal informés pour comprendre la vraie nature de la chose, ont freiné l’élan des FARDC qui en finissaient avec les mutins. Mal informés et fortement infiltrés, ils se sont encore trompés : Ils croyaient avoir affaire à des simples cas d’indiscipline consécutifs aux menaces d’arrestation de BOSCO NTAGANGA, lequel aurait quitté Goma à bord d’un véhicule officiel, aux côté d’un membre du Gouvernement Provincial qui du reste a rejoint la M23 depuis.
Les FARDC ont bien fait leur travail, mais les « experts » sont revenus à la charge. Ils ont, sans la moindre précaution, décrété une trêve juste quand il fallait lancer l’assaut final après que nos vaillants FARDC aient taillé l’ennemi en pièce dans le MASISI. C’est au cours de cette trêve piégée que l’ennemi a eu accès à RUNYONYI, à la frontière avec le Rwanda, lieu que vos « experts » n’ont même pas eu la précaution de verrouiller au niveau d’un point connu comme point de ravitaillement depuis le CNDP. Tout ceci s’est passé contre les avertissements des notables, à qui on répète avec suffisance de « ne pas se mêler des affaires militaires. » L’ennemi a donc pu se renforcer et les résultats c’est plus d’un million de déplacés et de refugiés aujourd’hui au Kivu.
Les fautes commises n’étaient pas des erreurs innocentes: des entreprises, des voitures, des villas, des comptes bien fournis pullulent aux quatre coins du pays, remplis par le sang de mes frères. Plusieurs des personnes chargées de gérer la crise l’ont transformée en vache à lait : il n’y a pas que les rwandais qui ont profité ou qui profitent de notre malheur et nous le savons. Plusieurs autorités politiques et militaires se sont enrichies à Goma, à Kinshasa et ailleurs à l’occasion de ces crises. C’est une honte pour la République, une honte que vous avez le devoir d’effacer.
Avec de tels antécédents, qui ne sont qu’un échantillon des erreurs fatales de vos « experts », on est surpris d’entendre parler de « division de travail » et d’ entendre vanter les auteurs de bavures qui ont causé la mort et le malheur de tant de personnes que vous aviez comme premier devoir de protéger, ceci quand on doit répondre à des inquiétudes soulevées par le souverain primaire que tout ceci a rendu prudent.
Ce qui inquiète, c’est qu’un tel langage vienne du ministère chargé de la nouvelle citoyenneté et qui, tour à tour, s’en prend à des catégories de compatriotes.
La violence verbale serait-elle devenue une vertu civique ?
Vraiment, la communication de l’Etat, en tant de guerre, ne doit pas diviser. Le Gouvernement doit apprendre à reconnaître ses faiblesses et à nous informer à temps, ce renforce la confiance dans les institutions. Au Nord-Kivu, nous sommes mobilisés derrière notre armée, à qui nos paysans offrent régulièrement leurs récoltes les très nombreuses fois que leurs rations sont invisibles sur terrain, et ceci bien avant l’appel de Kinshasa. Ici l’éditorial du week-end a choqué. Nous sommes en effet derrière notre constitution. Pour nous, la mobilisation du peuple congolais est une affaire de vie ou de mort : l’ennemi est sur le sol de nos ancêtres et des centaines de milliers des nôtres sont en errance. Le sang congolais coule. Mobiliser ne signifie ni mentir, ni museler et surtout pas minimiser les partenaires qui voient le contraire de vos dires sur terrain. Enfin mobiliser, c’est éviter d’accuser toute opinion contraire à la votre de trahison. Ceci ne convainc personne, car en même temps les graves contradictions continuent dans vos propos ou ceux qui sont présentés comme tels.
Ainsi, vous niez le nombre de troupes rwandaises que nous voyons et qui, en plus, portent notre uniforme ! Vous répondez avec dureté aux Rwandais après avoir fait fi du communiqué de la Société Civile qui, en date du 30 juin et avec détails, a dénoncé la présence de milliers de rwandais portant l’uniforme FARDC. Vous jurez plusieurs fois que nous n’allons jamais négocier avec le M23, mais un officiel des Nations unies dans la zone annonce que le Président ougandais était chargé de « poursuivre » le dialogue avec le M23, ceci bouleverse. Et il faut des explications plus solides qu’une rafale d’épithètes, de superlatifs ou d’adverbes qui cachent mal l’absence d’arguments convaincants. En 2012, la communication ne devrait plus se réduire à un langage de propagande qui a fait le lit du monolithisme d’antan. Enfin, le Gouvernement n’est pas obligé de publier des éditoriaux chaque soir, surtout sans une bonne analyse et sans en avoir pesé l’opportunité. Il faudrait éviter que des cadres de la RTNC ne soient encore victimes des lacunes manifestes de leur tutelle.
Leurs Excellences,
Nous croyons qu’il vaut mieux dire la vérité au peuple, quelle qu’elle soit : Les pays démocratiques ne cachent pas les cadavres. S’il y a dialogue avec le M23 à travers le Président MUSEVENI par exemple, dite le nous avant que ce soit l’ONU qui le fasse comme ce matin sur RFI. Voilà ce qui mine votre communication : trop d’affirmations vite contredites par les faits ; trop de décisions annoncées avec pompe qui, à la longue, s’avèrent sans lendemain ; trop de changements de cap qui, nous l’espérons, ne reflètent pas une navigation à vue.
En conclusion, au nom de la souffrance de mes sœurs, je vous suggère de bien analyser ce qui se passe en votre nom sans la presse car le moment est sensible. Le moment n’est pas propice aux gaffes qui risquent de mettre les institutions en péril quand une partie du pays est occupée.
Que chaque lecteur tire la conclusion qui s’impose.
Joska Kaninda