Au moment où nous étions en train de terminer la mise en ligne du dossier sur les éléments inédits de l’arrestation du général Jean Bosco Kazura, voici qu’on apprenait la libération de l’avocat américain Peter Erlinder arrêté à Kigali depuis le 28 mai soit 3 jours après son arrivée au Rwanda pour défendre l’opposante Victoire Ingabire accusée de négationniste comme son avocat.
Ce professeur de droit de l’université américaine William-Mitchell, dans le Minnesota, avait déjà sérieusement irrité Paul Kagamé en contribuant à monter une action en justice contre ce dernier devant un tribunal de l’Oklahoma. Il avait également fait part de sa conviction que le Front patriotique rwandais (FPR, ex-rébellion dirigée par l’actuel président Paul Kagamé) était responsable de l’attentat qui avait causé la mort de l’ancien président, Juvénal Habyarimana, à l’aube du génocide de 1994. Une allégation qui ne passe pas à Kigali où les dirigeant ont une autre version des faits.
Peter Erlinder était désormais au centre d’un bras de fer diplomatique entre le Rwanda et les États-Unis, alliés et bailleurs de fonds traditionnel de Kigali. Trois jours avant l’interpellation de l’avocat, l’administration américaine avait critiqué le gouvernement rwandais, responsable, selon elle, d’une série d'actions inquiétantes qui constituent des tentatives de restreindre la liberté d'expression à l’approche de la présidentielle d’août prochain. Le gouvernement rwandais a nié pourtant tout caractère politique à ce dossier. Il s’agit d’un acte de justice, a martelé la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo : peut-être que M. Erlinder pensait que sa nationalité, sa stature académique, son profil dans les médias le protégeraient, ajoute-t-elle. Ceux qui nient le génocide – qu’ils soient riches ou puissants – sont considérés par les Rwandais comme de grands criminels, disait récemment la ministre Louise Mushikiwabo.
Depuis une semaine, Washington avait haussé le ton en exigeant la libération de Peter Erlinder sans conditions. Il y a 48 heures, le TPIR, sur conseil des Nations unies, demandait à ce que l'avocat américain soit relâché en faisant valoir que M. Erlinder bénéficiait, en tant qu'avocat auprès du tribunal, d'une immunité. En optant pour un bras de fer avec son allié américain, le régime de Kigali a finalement baissé la garde pour sauvegarder le peu d’intérêt que manifeste encore l’administration Obama à son égard.
Mais que visait réellement Kagame en faisant arrêté l’avocat américain ??
Pour mieux comprendre la stratégie du régime rwandais, il faudrait avoir une vue globale de la situation politico-économique du pays des mille collines : la crise frappe de plein fouet les secteurs clés de l’économie (produits à l’exportation), une fiscalité qualifiée de "terroriste" étouffe les investisseurs obligés de fermer boutiques, une frange de la classe dirigeante bénéficie de certains avantages (les proches du régime venus de Kampala) au détriment de la majorité des populations, une corruption latente de la part de cette frange privilégiée commence à ronger le système bref le bateau est en train de prendre de l’eau à petite quantité malgré l’image qu’on essaye de véhiculer. Les rwandais paupérisés, victimes de cette guerre des clans, assistent impuissants à la dérive totalitaire du régime qui, de plus en plus conscient de la situation, essaye de trouver des parades pour refaire son image. C’est dans ce cadre qu’il faudrait replacer l’arrestation de Peter Erlinder dont les stratèges du régime ont considéré comme "ballon sonde" ayant comme objectifs :
- tester jusqu’où certains responsables au sein de l’administration Obama sont hostiles aux
autorités rwandaises. Dans l’un de nos précédents articles, nous vous disions que le responsable africain au sein du département d’Etat, Mr. Johnny Carson, a déclaré à plusieurs reprises que le régime rwandais devrait changer de méthodes pour espérer bénéficier encore des largesses américaines. L’arrestation de M. Erlinder a finalement convaincu Kagame que son image est devenue exécrable et qu’il y a lieu de faire profil bas pour ne pas tout perdre. Non seulement son régime est devenu un frein à la démocratisation du pays, mais ses interventions intéressées en RD Congo ont finalement convaincu le parrain américain que le pouvoir rwandais reste hégémonique et pourrait à la longue faire embraser toute la région des Grands Lacs.
- récupérer la confiance du peuple rwandais (en ce moment de basse conjoncture) en voulant démontrer que le régime tient fermement la barre et que personne ne peut s’attaquer à son image, à son combat contre les génocidaires et leurs supplétifs, fut-il américain. Pour ce faire, Kagame a, durant 18 jours, fait la sourde oreille en ridiculisant l’avocat américain (menottes aux poings, tenue orange des prisonniers, etc…) au point de faire fi de sa santé chancelante. Et pourtant, c’est finalement l’alibi avancé (raisons de santé) par Kigali pour le libérer ce 17/06/2010.
Les analystes pensent que le régime rwandais est en train de perdre l’estime qu’il a su bien entretenir durant plusieurs années et cela à cause de la conjonction, de l’implication de plusieurs facteurs (la crise, l’exigence de la démocratisation, la défense des droits humains, etc…) dont le leader Kagame n’est pas en mesure de maîtriser. Ils pensent que ses protecteurs ne sont pas prêts à le lâcher car son régime constitue, malgré tout, un élément stabilisateur dans une région à forte tendance explosive. Toutefois, les alliés anglophones (UK, USA) sont d’avis qu’une pression permanente doit être exercée afin que ce régime s’ouvre progressivement à une démocratisation constructive. Cette ouverture ne pourra se faire qu’à travers une opposition responsable car comme disait Hubert Selby Junior:On devient son pire ennemi en essayant de donner du sens à ce qui n'en a pas.
W.S.M