L’épopée de Laurent Nkunda ne cesse de défrayer la chronique des Grands Lacs.
L’ancien chef du CNDP est, depuis début 2009, en résidence surveillée au Rwanda.
Son arrestation faisait suite à l’entrée, sur le sol congolais, des contingents rwandais officiellement invités par le gouvernement congolais.
Echangé contre la traque des FDLR dans la région du Kivu en RDC, Laurent Nkunda reste, de l’avis de plusieurs analystes, une des cartes du président rwandais Paul Kagame.
C’est ce qui expliquerait la sourde oreille faite par Kigali quant à son extradition en RDC pourtant tant exigé par Kinshasa.
La procédure judiciaire entamée contre lui au Rwanda relève de la pure distraction, pensent ces analystes.
Pas plus tard que le 25 mars dernier, la cour suprême du Rwanda s’est déclarée incompétente sur ce dossier et l’a renvoyé à la justice militaire.
Ceci cache mal l’incapacité de la justice rwandaise à pouvoir interroger le général James Kabarebe présumé être à la base de l’arrestation du leader du CNDP.
Pour les habitués de politique rwandaise James Kabarebe n’est pas n’importe qui pour se faire interpeller par une quelconque instance judiciaire de ce pays. C’est l’un des hommes les plus influents du pouvoir.
Sans l’acharnement des avocats de Laurent Nkunda, Kigali n’aurait pas déclenché cette procédure judiciaire.
Au fait, Nkunda a été arrêté pour des raisons politiques. La procédure judiciaire n’y peut rien.
Tout le temps qu’il dirigeait le CNDP, le Chairman ne faisait rien sans se référer au Rwanda et particulièrement à James Kabarebe, pense-t-on. Avec son CNDP il constituait le bras avancé du Rwanda en RDC pour stopper l’éventuelle avancée des FDLR vers les frontières Rwandaises.
Il y a donc des choses que le CNDP ou mieux son chef doit avoir concocté avec Kigali et qui devraient rester dans le placard.
Ce n’est donc pas James Kabarebe qui pourrait se présenter à la barre pour justifier l’arrestation d’un Laurent Nkunda qui était sous sa coupe. Même si il arrivait qu’il réponde devant la justice, ce général rwandais aura du mal à justifier l’arrestation de Laurent Nkunda au Rwanda, secret défense oblige !
Il est connu de tous que Laurent Nkunda est un tutsi congolais et général déchu des FARDC. Sa rébellion a été menée au Congo avec en prime toutes les éventuelles exactions contre les populations civiles. Il s’était insurgé contre le pouvoir de Kinshasa et non à celui de Kigali. Rien, alors rien, ne justifie son arrestation au Rwanda. Sa place en prison devrait normalement se retrouver en RDC. Kigali l’a gardé au Rwanda en attendant voir l’évolution de la situation des FDLR sur le sol congolais, c’est cela la version soft du dossier.
En contrepartie de l’arrestation de Laurent Nkunda et de l’anéantissement du CNDP, Kinshasa devrait s’occuper du démantèlement des FDLR à l’Est du Congo. A l’heure qu’il est cet objectif est loin d’être atteint.
Kigali sait pertinemment bien que les menaces des FDLR restent plus ou moins intactes à l’Est du Congo.
Le pouvoir de Kigali n’ignore pas que les élections qui s’annoncent pourraient déboucher sur d’éventuelles contestations, internes comme externes, de la réélection de Paul Kagame.
Ceci pourrait réchauffer les différents sanctuaires des FDLR.
Le futur pouvoir Kagame aura besoin de se consolider et de s’assurer du contrôle des frontières congolaises étant donné que, jusque là Kinshasa a montré ses limites quant à la traque des FDLR dans la partie Est de la RDC.
Quelle sera l’issue de ce dossier ?
Il faut exclure l’éventualité de l’extradition de Laurent Nkunda au Congo. L’on ne coupe pas la branche sur laquelle on est assis.
Nkunda ne restera pas éternellement en prison au Rwanda. Ce tutsi congolais jouit d’une certaine estime de la communauté tutsi de par le monde en plus que ses avocats ne cesseront pas de multiplier des pressions pour obtenir son élargissement. A plusieurs reprises Laurent Nkunda a décliné l’offre d’aller dans un exil doré.
Beaucoup pensent que pour contenter la communauté tutsi et assurer la surveillance des frontières congolaises, Kagame aura toujours besoin de l’apport de Laurent Nkunda.
Il n’est donc pas exclut que son évasion soit organisée pour qu’il se retrouve à nouveau à l’Est du Congo pour faire le bouchon contre les FDLR.
Pareille scénario ne pourra que redonner de l’eau au moulin aux nombreux tutsi frustrés par cette arrestation.
Le Rwanda a encore le problème de surpeuplement et de rareté des ressources. Il a besoin de l’Est de la RDC pour compenser ces faiblesses.
Après les élections qui s’annoncent au Rwanda, au Congo et en Ouganda il y a trop de chance des renversements des cartes.
La diplomatie sud africaine a joué un grand rôle dans le soutien du processus de paix en cours en RDC depuis le dialogue inter congolais.
Le rapprochement Kinshasa-Kigali a, dans une certaine mesure, bénéficié de la facilitation de Pretoria qui aurait convaincu Paul Kagame d’abandonner le soutien aux insurgés de Laurent Nkunda pour travailler directement avec Kinshasa dans le démantèlement des FDLR. Pour l’instant, Kigali essaye de démontrer, à la face du monde, l’incapacité de Kinshasa à résoudre définitivement le problème des FDLR.
Il en est de même de l’Ouganda qui, pour des intérêts liés à l’exploitation du pétrole, s’est jeté dans les bras de Kinshasa. Hélas, les violons sont loin de s’accorder entre Kampala et Ouganda quant à la firme qui devrait exploiter cet or noir dans la partie congolaise du lac Albert. Pour Museveni c’est Tullow Oil ou rien. Conscient du rôle que joue la république sud Africaine dans la politique congolaise, Museveni s’emploie à réchauffer ses relations avec ce pays de Nelson Mandela. Le 24 avril dernier, le président Sud Africain a fait, à la tête d’une délégation d’hommes d’affaires sud africains, une visite officielle en Ouganda. Le pétrole ne pouvait manquer à l’ordre du jour. Et le président Museveni a convié certaines firmes sud africaines à s’occuper de l’exploitation du pétrole. En impliquant l’Afrique du Sud dans l’exploitation de son pétrole, Musevni espère obtenir par cette voie l’avis favorable de Kinshasa s’agissant de l’entreprise Tullow Oil.
Les deux capitales (Kigali et Kampala) voudraient démontrer aux autorités sud africaines l’inconstance du régime de Kinshasa quant aux différents engagements pris.
Si l’Afrique du Sud Bascule, il y a lieu de s’attendre aux bouleversements politiques dans la région dans les prochains jours.
En somme, Laurent Nkunda reste l’une des cartes de Paul Kagame. C’est dommage que les autorités de Kinshasa semblent ne pas comprendre les enjeux du moment ou font carrément semblant en essayant de flouer leur opinion publique. Dans les deux cas, le retour de la manivelle peut être très fatal pour la survie de l’actuel régime politique congolais à quelques mois des élections générales.
Joska Kaninda